Bangledesh: la guerre de l'eau

 Il est 18 heures à Chittagong. Le premier port du Bangladesh. La seconde ville du pays. Trois millions 500 mille habitants. Des centaines de klaxons hurlent ; Le macadam est pris d’assaut par des hordes d’usagers qui tentent de se frayer un chemin dans cet indescriptible labyrinthe urbain. Le pays dont la superficie représente à peine un quart de la France est le plus densément peuplé au monde : 144 millions d’habitants dont 40 pc vivent sous le seuil de pauvreté ; une concentration de plus de mille habitants au Kilomètre carrés. La plupart tente de trouver un avenir au cœur des villes. Imaginez : Des bus au châssis plié, des camions citernes cabossés, des touk-touk motorisés qui s’immiscent dans les trous de souris de cet énorme embouteillage urbain. Pare-choc contre pare-choc. Et ça klaxonne toujours à qui mieux- mieux. Entre les voitures, des vélos, des rickshaw (pousse-pousse local). Jean-Claude et moi avons pris place à bord d’un de ces rickshaws que conduisent des cyclistes  téméraires. Dans cette cohue inouïe, des piétons manquent sans cesse de se faire écraser. Des enfants  mendient de voitures en voitures, des infirmes, accroupis sur de petites planches à roulettes s’accrochent au pare-choc des voitures pour avancer et mendier à leur tour: Une pauvreté criante et dans cette loi de la jungle urbaine, les gaz d’échappements  s’élèvent, noir et âcres, à vous en couper le souffle.

Hormis cette pollution urbaine, le Bangladesh pollue peu et pourtant, c’est l’un des pays les plus exposés au réchauffement de la planète et aux changements climatiques. Traversé par trois grands fleuves, le Gange, le Meghna, le Brahmapoutre,  le pays absorbe telle une éponge 92 pc des eaux provenant du Tibet, du Népal, de l’Inde et du Bhoutan. La fonte des glaciers himalayens accroit la quantité d’eau à évacuer et l’élévation du niveau de la mer de 45 centimètres rend l’écoulement fluvial plus difficile. Durant la mousson un tiers du territoire est sous eau… Cette piscine géante à ciel ouvert compte 16 mille kilomètres de voies navigables durant la saison des pluies. 6000 durant la saison sèche. Le plus large réseau de rivières au monde couvre 7pc du pays.

Quelques heures plus tard, sous nos ailes, des villages entiers complètement inondés, abandonnés. Les habitants, engagés dans une effarante guerre contre l’eau, ont du fuir pour tenter de trouver un abri précaire, les pieds au sec. Plus loin les mangroves englouties, des buffles les pattes dans l’eau boueuse du delta du Gange. Je partage ce survol avec Stul. Jean et Jean-Claude mène la navigation. Pierre et Olivier pilotent les ULM cargos. Rase-motte au dessus des cultures de riz et de jute. Des cultures d’une couleur vert écarlate qui s’étendent à perte de vue dans ce territoire plus plat que plat. Le GIEC annonce la couleur. Ici, une élévation du niveau de la mer entrainera le déplacement forcé de 5,5 millions d’habitants et la perte de 11 pc du territoire. Ces réfugiés climatiques sont engagés dans une impitoyable guerre contre l’eau. Pour enrayer cette spirale infernale, le Bangladesh a décidé de planter cent millions d’arbres : Obstacles naturels contre les raz de marée, les inondations, les sécheresses. Un combat inégal dans un pays frappé par de nombreux cyclones. Alia en mai dernier y a fait 217 morts, six mille blessés et des centaines de milliers de sans abris. En novembre 2007 Sidr y faisait 2300 morts et plus de 8 millions de sinistrés.

En quittant le Bangladesh pour l’Inde, nous planons au dessus du delta du Gange, qui telle une pieuvre géante, éparpille ses bras tentaculaires sur tout le territoire. Ca et là, des petites maisons en carrés, des paysans au champ, des coques de noix à la voile colorée, dont une qui nous semble familière. Sa voile est noir jaune rouge. Un énorme drapeau belge au vent qui nous rappelle à votre bon souvenir. L’occasion de vous remercier pour vos encouragements, vos témoignages de sympathie qui nous portent une nouvelle-fois dans cette expédition aussi harassante qu’éblouissante. Après 200 nautiques et deux heures trente de vol, nous arrivons sur l’immense aéroport de Calcutta. La tour nous fait patienter pour laisser des Boeing s’y poser puis nous autorise à atterrir en formation. Au sol, la voiture « Follow me » nous emmène dans les dédales de ce site gigantesque. S’en suit comme souvent de longues palabres administratives. Douanes, immigration, … La nuit est tombée sur Calcutta,  Comme à Chittagong, les klaxons hurlent, voitures pare-choc contre pare-choc. Même frénésie qu’au Bangladesh… Le Earth Challenge s’apprête à une très longue et colorée traversée de l’Inde.