Calcutta : Misère au cœur de la cité de la joie

C’est une cité immense comme l’est son mémorial Victoria. Premier comptoir britannique, rebaptisé Kolkata, l’actuelle Calcutta, qui bat pavillon communiste, est une termitière inouïe qui nous rappelle qu’après la Chine, l’Inde est le pays le plus peuplé au monde. Plus d’un milliard cent millions d’âmes… Calcutta, ville de plus de 13 millions d’habitants, en est un condensé. Aux heures de pointes les rues sont envahies par les très british taxis jaunes de marque « ambassadeur », les rickshaw motorisés, les pousse-pousse, de rares vélos, les piétons ; tous engagés dans le grand jeu du «pousses toi que je m’y mette ». Un stock car géant où les tôles s’effleurent, les pare-chocs se tutoient mais sans jamais se toucher. Le tout dans un vacarme assourdissant. Un concert de klaxon permanent qui, pourtant, n’engendre aucune réaction agressive. L’agression vient des pots d’échappements. Un nuage de pollution prend la cité en otage. Une odeur âcre et piquante comme nous le confirme Sudipto Bhattacharya. Ce scientifique vit en banlieue ; il a fondé l’association « saviour and friend environment ». Dans son petit bureau, Sudipto protège soigneusement quelques instruments de mesure de la pollution ambiante. Un capteur de CO2, des fioles contenant l’eau hyper polluée du Gange : « Calcutta vit un désastre écologique ! 40 millions de tonnes de CO2 rejetées chaque année » nous explique-t-il. La croissance économique, l’industrialisation, la surpopulation, tout cela engendre une pollution immense qui ne fait qu’ajouter la misère à la misère. La grande victoire de Sudipto, c’est d’avoir obtenu de la Haute court de Calcutta un arrêt qui depuis aout dernier interdit les véhicules publics de plus de 15 ans.  7000 taxis, 32 mille rickshaw à essence et 9500 bus ont été interdits sur la place publique. Désormais les rickshaw jaune et vert roulent au gaz… Un combat de très longue haleine  qui selon lui a amélioré singulièrement la qualité de l’air en ville… Le réchauffement global, Sudipto  le craint comme la peste. Plus qu’une affaire de protection de la nature, il en va de la protection des hommes, des femmes et des enfants qui sont, ici, si vulnérables. Dans « la cité de la joie » de Dominique Lapierre, des tas d’ordures jonchent quasiment tous les trottoirs. Une odeur pestidentielle envahit les quartiers de Suder Street. C’est là, à même le sol, qu’une fois la nuit tombée, des milliers de sans abris s’effondrent de fatigue avec comme seul toit, un drap ou une couverture. Le macadam est leur matelas. Les nuages poussiéreux, leur ciel de lit. Des familles entières se regroupent sur des places, des morceaux de bitume, le temps d’une nuit… Chaque jour certains succombent dans l’anonymat. Les religieuses de la charité qui perpétuent l’œuvre de Mère Teresa viendront récupérer les moribonds pour leur offrir un peu de dignité dans un mouroir de la ville. D’autres n’auront pas eu le temps de mourir dignement… Au lever du jour, les survivants des nuits de Calcutta repartent à l’assaut de la ville. La plus misérable des misères n’empêche pas la fierté. Alors tous s’activent, se lavent à même les rigoles ; se brossent les dents avec des bouts de bois. Très souvent le sourire aux lèvres ; Contre mauvaise fortune bon coeur dans la cité de la joie… On y attendra un meilleur karma dans une autre vie… En attendant on subit, on se bat, on survit. Comme le fond des centaines de réfugiés venus du Bangladesh y trouver un hypothétique eldorado. Ils croupissent entre une voie de chemin de fer et une bretelle d’autoroutes dans des campements de fortune. Leur gagne-pain ? Ils le trouveront dans les ordures récupérées dans d’immenses sacs blancs. L’impitoyable Calcutta, nous l’avons arpentée par temps sec. Imaginez la mousson dans cette jungle urbaine. Les nuits détrempées, les pieds dans la boue… Les changements climatiques affaiblissent toujours plus les  plus faibles. Entrer en Inde par « la cité de la joie » c’est rencontrer le souffle de vie aux confins de l’enfer. Les sourires au milieu du pire. Demain nous quitterons Calcutta pour Varanasi ; loin de la frénétique atmosphère de la ville, en route vers  ce que l’Inde a de plus profond. Une culture et une spiritualité qui semble-t-il, permet au dernier des moribonds de croire, encore et toujours, à un avenir meilleur.