Tunisie : « la vérité »

 Après avoir fui la Libye, c’est en Tunisie que nous faisons escale. A Djerba précisément. Un atterrissage sur l’aéroport international  ultra moderne  de la ville. Le décor tranche de façon abrupte avec ce que nous avons connu de l’autre côté de la frontière. L’accueil aussi : Souriant, aimable, avenant ; Un autre monde. Pourtant, la tour nous signale qu’elle n’a reçu que trois plans de vol  pour nos quatre appareils et que nous n’avons pas de « clearance » pour atterrir à Djerba. « Qu’importe » nous dit le contrôleur, « vous réglerez cela au sol »… Au sol où l’on nous souhaite gentiment la bienvenue. Un rapide contrôle des services d’immigration et de douanes et nous serons très vite à notre hôtel. Les Tunisiens sont ulcérés d’apprendre ce que nous avons payé comme taxe en Libye : « Portez plainte à l’organisation internationale de l’aviation civile, la vérité, … » nous-dit le contrôleur. Peine perdue… Nous avons mieux à faire.  En Tunisie nous allons toutefois rester bloqués une journée. Un contretemps malencontreux que je qualifierais de « concours de circonstances ». Le directeur de l’aéronautique est en congé ; c’est la fête de l’Aïd. Surprise ; Son subalterne nous montre un règlement aéronautique tunisien qui stipule que les ULM ne peuvent pas survoler la mer. Notre interlocuteur ajoute que pour quitter la Tunisie par la Méditerranée, il nous faudra démonter nos ULM pour les mettre sur bateau ! Pour  « mettre à l’eau » notre expédition il n’y a pas mieux… Impensable ! Il nous faudra des trésors de patience, de sang froid, pour expliquer à Djerba que certains de nos pilotes ont survolés à plusieurs reprises la Tunisie en ULM sans que jamais on ne leur oppose un tel règlement ; la réponse fuse : « On ne peut rien faire. Vous devez avoir l’accord de la direction générale de l’aéronautique à Tunis »… « La vérité » ! Un dimanche, fête de l’Aïd, ce ne sera pas simple. Ce jour de repos forcé nous permet de retrouver quelques forces car, à vrai dire, nos organismes sont épuisés par ces longues et harassantes journées consécutives de vol depuis Dubaï. La nervosité est palpable.  Quelques tensions apparaissent… Aussi compréhensibles qu’humaines. Il faut dire que la pression est grande. De conciliabules en aparté, la conclusion s’impose : Notre priorité absolue est d’arriver le samedi 5 décembre à l’aéroport de Charleroi. Dans six jours donc… En saison d’été, c’eût été une formalité mais nous sommes en hiver et les intempéries s’abattent sur l’Europe. Au bout du fil, Luc Trullemans, notre précieux météorologue, est réaliste : « Ce sera difficile ». La veille nous avons, par la force des choses, raté une fenêtre météo nous permettant de rallier la Corse. Pour réussir ce pari, il nous faut impérativement quitter Djerba demain à la première heure et cette-fois vers la Sicile. Après, nous explique Luc, tout le bassin méditerranéen sera bouché… La prochaine courte ouverture céleste se présentera mercredi mais là il sera trop tard pour gagner la destination finale à temps. Les heures avancent. Je tourne en rond. Longue réunion en aparté avec Jean Pen et mon ami Luc par téléphone : Il faut imaginer tous les scénarios possibles : Demander une très hypothétique autorisation de survol de l’Algérie et par le Maroc rejoindre les Baléares ; Luc vérifie : « No go » Mauvaise météo sur l’Espagne ; Retourner sur la Libye pour ensuite bifurquer à l’Ouest vers la Sicile : Rien que l’évocation de cette « pseudo-solution » nous glace. Est-ce bien sérieux de se jeter à nouveau dans la gueule du loup ? En début de soirée, je joue mon va-tout. J’envoie un message au premier ministre Yves Leterme qui m’avait assuré de son soutien en cas de pépin. Parole tenue. Les téléphones crépitent. Je suis en contact avec Dominique Dehaene, son porte-parole, toujours prompt à faire l’impossible pour nous aider dans cette expédition inédite. Puis avec Vincent Willekens des affaires étrangères qui m’explique qu’une procédure en urgence va être lancée auprès du gouvernement tunisien pour tenter de débloquer la situation. Le lendemain matin, lundi, le ministre appellera le ministre tunisien de l’information et peut-être pourrons- nous partir dans les temps. Soit au plus tard à 11 heures ; Passé ce cap la météo devrait se gâter.. Ce qui laisse deux petites heures matinales à la diplomatie pour faire des miracles. Ceux qui me connaissent le savent : J’ai horreur de l’échec et à tout le moins, s’il faut s’y résoudre, je me serai battu jusqu’à la dernière minute… La nuit sera courte, agitée. Le sommeil englué dans mille états d’âmes. Le jour s’est levé sur Djerba. 8 heures. J’envoie déjà un premier   SMS à Vincent Willekens. 9H30. Je l’appelle. Il m’explique que la procédure est lancée ; le ministre tunisien de l’information est au courant. Cela pourrait se débloquer. Nous sommes tous prêt dans le grand hall de l’aéroport de Djerba. En Stand by. Suspendus au téléphone. Un coup de fil providentiel de l’ambassadeur belge en Arabie Saoudite va nous aider. Monsieur Latchenko a appris que nous étions bloqués. Il appelle son collègue à Tunis qui m’appelle à son tour. Son excellence Monsieur Thomas Antoine va, lui aussi,  tout faire pour nous aider. Je lui communique le numéro de téléphone du directeur général de l’aéronautique à Tunis. Il finira par le joindre. Le reste est affaire de diplomatie… Dans ce va-tout un peu fou, Olivier a contacté un ami tunisien influent qui tente aussi de son côté de remuer ciel et terre. Le chrono tourne. Il est 11 heures et nous n’avons pas décollé… Mais les efforts nourris de tous convergent vers une immense éclaircie administrative. A 11 H 10, une solution est en vue. La direction tunisienne de l’aéronautique est prête à nous donner le « Go » pour ne pas faire échouer notre folle entreprise.   Il nous faut toutefois remplir un tas de formalités, faxer nos documents de bords, nos licences de pilotes à Tunis. 11H30. Jean, Pierrot et Alex s’activent à peaufiner nos plans de vols. Le directeur de l’aéroport de Djerba nous aide ; il fait tout pour accélérer la procédure ; mais comme nous, il est suspendu à la décision finale en provenance de Tunis (l’occasion de souligner la correction et la gentillesse de tous les membres de l’aéroport de Djerba. Contrôleurs, douaniers, policiers… Une sympathie symbolisée par une photo montrant un douanier jouant au foot avec nos pilotes…). La décision tombera à 11H45. « Go ». Tunis a dit oui… « La vérité ». Le marathon diplomatique va laisser sa place à un marathon du ciel. On file vers les ULM. Peu après 12 heures, nous décollons vers la Sicile. Pari gagné. Miracle accompli. Juste le temps de remercier l’ambassadeur Thomas Antoine de ses efforts, de remercier Dominique Dehaene, Vincent Willekens, le premier ministre… De laisser l’euphorie de côté et de se concentrer  sur un survol maritime toujours périlleux. La veille, exténués, nerveux et quelque peu divisé sur la question, nous avions évalué à une sur cinq, la chance de décoller à temps. Mais ensemble nous avons décidé de la jouer, crânement. Avec l’aide toujours aussi efficace de notre diplomatie sans laquelle une telle expédition n’aurait pu réussir. « La vérité… »