Malaisie-Thaïlande : La transhumance aérienne des « Plane people »

C’est un lac immense. Grand comme Singapour. Le plus vaste d’Asie du Sud est. Un lac immensément beau. Peut-être le plus beau de ce coin du globe. Un lac où les eaux turquoise, quand le soleil donne, accueillent des centaines de petites îles flottantes, autant de délices posés là comme par magie. De petits îlots abritant pour certains une maison, voire un seul cocotier, et pour d’autres des cabanes de pêcheurs et une végétation foisonnante. Il s’appelle « Kenyir ». C’est le plus grand lac artificiel de Malaisie. Le point d’entrée de la forêt vierge de Taman Negara qui abrite tigres, rhinocéros et éléphants. « Kenyir » c’est le cadeau du ciel que nous offre la Malaisie lors de cette très longue journée de vol. Nous nous sommes levés à l’aube pour quitter la ville industrielle de Johor Bahur dans le Nord. Rapide dédouanement des amicales autorités locales puis la remontée de ce beau pays par la côte est. « Kenyir » c’est l’exemple de ce que la nature peut être préservée en bonne intelligence avec les nécessités de l’homme. Les Malais y ont construit un gigantesque barrage répondant à leurs besoins d’eau tout en créant une zone naturelle protégée préservant les espèces animales et végétales en danger. C’est un exemple donc dans un pays où la gestion écologique n’est pas qu’exemplaire : En Malaisie, le déboisement  et le développement des infrastructures blessent à jamais les  forêts tropicales mais aussi les mangroves côtières. Ces palétuviers peu à peu grignotés, guillotinés, c’est le chagrin malais, une menace pour ses habitants. La moitié des Malais résident sur les côtes de la péninsule. Cette mangrove nourricière y apporte le poisson quotidien, elle protège de la colère des océans, des tsunamis et de l’élévation annoncée des eaux des océans. Mais cette mangrove souffre, reculent sur les coups de boutoirs des marteaux piqueurs… En quittant la Malaisie, c’est le survol de « Kenyir » que nous gardons en mémoire sans pour autant être dupé par son aveuglante beauté…   Dupé nous le serons rapidement en arrivant en Thaïlande. Notre entrée s’y fait par l’aéroport douanier de Narathiwat, ville musulmane du Sud du pays. La chaleur y est suffocante. L’air est moite, et la gentillesse des femmes voilées du petit bar du coin contraste avec le zèle d’improbables douaniers quelque peu dépassés par l’arrivée de notre escadrille. Trois heures pour expliquer, documents officiels à l’appui, que nous  avons l’autorisation de voler vers Pukhet. Trois heures de perdues sur le coin d’une table à attendre que les services d’immigration actent notre entrée en Thaïlande. Pour seul résultat, un reçu attestant que nous avons payé nos taxes d’atterrissage mais pas le moindre visa d’entrée cacheté dans nos passeports.  Avec la bénédiction des douaniers locaux, nous survolerons donc le pays comme de pseudos clandestins. Des « Plane People » en vol vers Pukhet  où , nous assurent nos bons douaniers, « tout sera réglé là bas »… Le temps presse… Stul et Jean ont fait le calcul. Si les vents nous sont favorables il nous faut 2 Heures 45 minutes de vol pour gagner notre destination. Précisément l’heure à laquelle le soleil se couche… Et les prévisions météo que nous envoie notre routeur Luc Trullemans ne sont pas bonnes. Cumulus, cumulonimbus, risque d’orages violents, la mousson approche dans le Nord de la Thaïlande… Nous prenons tout de même notre envol  et c’est vrai qu’il nous faudra prendre de l’altitude pour déjouer d’épais  murs de nuages qui nous font face. Mais l’audace sera récompensée…  Je partage ce vol avec Stul. Un vol inoubliable. Les douaniers de Narathiwat l’ignorent mais leur zèle nous a offert l’une des plus belles approches de l’expédition. Imaginez. Aux commandes de nos moustiques, le soleil rond est au rendez-vous. Et plus les nautiques défilent, plus le soleil s’éteint pour se colorer de rouge, d’orange et de jaune. Une finale d’une beauté inouïe. Il est 18 heures 34 minutes. La piste de l’aéroport international de Pukhet est en vue. Nous sommes les rois du monde. A notre gauche, la Tour fait patienter un 747 pour nous permettre d’atterrir à la « queue leu leu » . Nous passerons notre première nuit en Thaïlande sans trop oser y croire… Il nous reste 700 kilomètres pour atteindre notre objectif. Dans ce périple de près de 14 mille kilomètres, c’est rien et c’est énorme à la fois… La soirée ne fait que débuter. Les zélés douaniers de Pukhet ont pris le relais de leurs collègues du Sud. Deux heures de discussions plus loin, toujours pas de visas d’entrée dans nos passeports, mais des images plein la tête et une nuit de sommeil «clandestine » accordée avec le sourire par les services de l’immigration. Et le repos mérité de nos sept « plane people »…