Dans les petites rues de Singapour

Ils  tutoient le ciel ; côtoient les petites demeures du temps des colonies. Flirtent avec les nuages et quand le plafond est bas s’élèvent fièrement au dessus des cumulus. Montés en flèche vers le pays d’en haut, les gratte-ciel de Singapour rivalisent de hauteur et d’apparence. Les uns, droits et fiers comme le « i », les autres, fantasques, aux formes audacieuses et tortueuses, fruit des fantasmes les plus fous des plus fous des architectes. Et rien ne semble arrêter la vertigineuse ascension de ces buildings dans ce territoire d’à peine 640 kilomètres carrés. Au large du port, à perte de vue, l’étrange ballet des grues de fer qui , par dizaines, lèchent de leur bras d’acier le béton des tours naissantes. Rien donc ne sembler pouvoir freiner l’expansion de ce modèle de réussite économique. Pas même les problèmes environnementaux auxquels sont confrontés les plus de quatre millions d’habitants de l’île depuis son indépendance en 1965. Le défi Majeur de l’ultra-propre Singapour (je vous défie d’y trouver un papier, un mégot de cigarette ou un chewing-gum dans la rue), c’est l’or bleu. L’eau. La source de vie. Celle qui manque cruellement ici à tel point que Singapour dépend de son voisin malais pour son approvisionnement. C’est ce que nous confirme Amy Ho, directrice du WWF local.

Singapour ne dispose d’aucune nappe phréatique exploitable. Vu la hausse des tarifs d’importation d’eau, Singapour a entrepris des travaux d’hercule, investi six milliards de dollars dans de gigantesques réservoirs d’eau de pluie et des systèmes de désalinisation. 
L’île a surtout investi dans un procédé permettant de recycler en eau potable les eaux usées. Ou comment prendre son destin en main : En 2011, l’île devrait être autonome à 50 pourcents.
Les Barrages de la marina font eux partie d’un système de contrôle de la montée des eaux et permettent d’atténuer les inondations dans les zones basses de la ville. Lors de fortes pluies, les neuf portes du barrage permettent de libérer l’excès des eaux pluviales dans la mer. 
L’eau n’est pas le seul enjeu écologique de l’île. La production d’énergie verte est un autre défi à l’ombre des gratte-ciel : Un groupe finlandais (Neste Oil) y construit l’usine de biocarburant la plus importante du monde pour un coût de 776 millions de dollars. Ce diesel fabriqué à base d’huile de palme serait le plus propre au monde et permettrait de réduire de façon drastique les émissions de CO2. 
 
Le constat est flagrant. Dans les petites rues de Singapour, on prend son avenir à bras le corps. Certaines mégapoles que nos ULM ont survolées pourraient en prendre de la graine. Prenez l’Indonésienne « Jakarta ». Celle qui se baptise elle-même « ville de la pollution » et qui se développe de façon sauvage et incontrôlée d’années en années. On pourrait y compter 35 millions d’habitants en 2025 contre 20 millions aujourd’hui.  Jakarta fait la sourde oreille à tous les cris, les S.O.S ! Chaque année, lors de la mousson de janvier-février, des quartiers entiers sont inondés. En 2002, ces inondations avaient fait des  dizaines de victimes et provoqué la détresse de 300 milles sinistrés. Et rien n’est fait pour que la vie y devienne un long fleuve tranquille. Un exemple. La rivière « Ciliwung » qui traverse le quartier de Kampung Melayu déborde régulièrement. Son lit a diminué de moitié en trente ans. Malgré cela les habitants construisent sur les berges et y déversent des montagnes d’immondices. Malgré cela on continue d’y pomper dans la nappe phréatique. On construit à tout-va et au tout-venant. Résultat :  un affaissement du sol de la capitale indonésienne construite dans une zone marécageuse. Klaas Van Teule, directeur du WWF local nous l’affirme. Lentement,  Jakarta s’enfonce. De cinq à dix centimètres par an !  Plus vulnérable que jamais à la montée du niveau des eaux de la mer. Les jours de grande marée l’eau envahit déjà les quartiers les moins élevés de la ville. 
 
 Jakarta-Singapour. Deux destins. Deux façons de voir l’avenir à l’ombre des gratte-ciel. Notre avenir immédiat dépend lui du bon-vouloir des autorités thaïlandaises. Le pays vient d’être secoué par d’importantes émeutes et c’est de Singapour que nous attendons les hypothétiques autorisations de survol.   L’orage gronde sur la ville, il pleut des cordes et c’est sous le déluge que nous obtenons la délivrance. Comme ce fût le cas à Jakarta, l’ambassade de Belgique à Bangkok soutient avec ardeur notre projet. Le blanc-seing est tombé sous forme d’un SMS. Après deux jours d’attente, de repos du guerrier pour les uns, de soins pour Jean-Claude toujours très affaibli par des soucis digestifs,  nous reprendrons notre longue route demain aux petites heures. Nous survolerons la Malaisie vers la Thaïlande laissant derrière nous les accueillantes petites rues de Singapour.