Anak Krakatoa : Du magma sous nos ailes

C’était l’enfer. Un vacarme assourdissant. Des crachats bouillants de pierre jaillissant des entrailles de la terre. Les cendres étouffant tout sur leur passage; imaginez : Une colonne noire et puante de 80 kilomètres de hauteur obscurcissant le ciel jusqu’ à Singapour à 840 kilomètres de là. Si ce n’était que ça… Quand, après plus de deux siècles de repos, le Krakatau se réveilla ce 27 août 1883, il causa la plus grande explosion volcanique jamais enregistrée dans le monde et provoqua un tsunami d’une  violence féroce. Les vagues hautes de quarante mètres déferlèrent sur Java et Sumatra. L’enfer sur terre. 165 villages réduits à néant. Plus de 36 milles morts… et les cris de douleurs assourdissants d’une fin de monde dans ces îles jusque là paradisiaques.

Il est 14 heures lorsque nous survolons le Krakatau dans le détroit de la Sonde. Je partage ce moment intense avec mon frère d’armes, Olivier. Jean-Claude et Stul, Pierre et Jean, Alex à bord du cargo complètent l’escadrille. Les ailes de nos ULM longent son abondante végétation. Ce Volcan légendaire de type explosif n’a plus craché de venin depuis des lustres. Nous sommes sur la  ceinture de feu du pacifique et le spectacle hallucinant qui s’offre à nous  vient de « Anak Krakatoa », le « fils de Krakatau ». Ce volcan plus petit sorti de mer il y a 80 ans et qui inexorablement grandi de plusieurs dizaines de centimètres par mois pour atteindre aujourd’hui les 300 mètres de hauteur. Comment vous décrire le survol de ce lieu d’exception, terre réservées aux chercheurs volcanologues et qu’il est interdit d’approcher dans un rayon de trois kilomètres au niveau de la mer…
 
Vu du ciel, bien sûr c’est différent. Nous sommes face à lui, surplombant ses flancs gris qui s’élèvent des majestueuses eaux turquoise qui l’entourent. Et à rythme cadencé « Anak Krakatoa » crache ses cendres et ses pierres. Autant d’explosions perceptibles au-delà de nos casques d’aviateurs. Nos avions planent en 360 degrés.  Les nuages noirâtres s’élèvent dans le ciel bleu. Des images imprimées à jamais dans nos âmes de grands voyageurs. Comme celles de ces petites îles  de la région qui rivalisent de couleurs et de formes (tantôt une tortue, tantôt une huître) pour offrir à nos yeux ébahis ce tableau éblouissant. Cette navigation préparée par Jean, Stul et votre serviteur restera un temps fort de l’expédition. Temps qui nous mène en deux temps trois mouvements vers Sumatra. Les grattes-ciel de Jakarta sont déjà loin. Reste sous nos pieds, une île infiniment plus déserte que Java. Des palmiers par millions, des terres brûlées, des arbres déracinés par millier. Des marécages, des fleuves en   courbes s’évadant vers l’horizon et sur ses rivages de petits villages de pêcheurs. De Sumatra, du traitement inhumain qui lui est infligé, de ses cicatrices, je vous parlerai demain. Pour l’heure nous venons d’atterrir à l’aéroport « Sultan Thaha » de Jambi, une ville bruyante et défraichie du centre-est de l’île. Ce soir, harassés par cette longue étape de 428 nautiques sans escale et près de cinq heures de vol dans nos cyclomoteurs du ciel, nous irons nous coucher avec en tête le sublime feu d’artifice du si beau et si redoutable « Anak Krakatoa ».